Voici l’heure de notre Minute Culture 5 !

C’est pas parce qu’on est des amateurs qu’on ne peut pas se la raconter…
Pour rappel Acte 2 s’est donné la mission de parfaire votre culture théâtrale.

Avignon, son Palais des Papes, ses 1250 spectacles, vous connaissez ?
Mais pourquoi le Festival d’Avignon est à Avignon et non à Dunkerque ou Argenton ?
Le In ? Le Off ? Kezako ?
La Minute Culture répond à toutes vos questions sur le rendez-vous annuel des théâtreux !

Un peu d’histoire. Comment tout a commencé ?
En 1947, à l’initiative du poète René Char, les collectionneurs d’art Yvonne et Christian Zevos organisent une petite « exposition de peintures et sculptures contemporaines » dans la grande chapelle du Palais des Papes. Mais ils sentent bien qu’il manque un coup de folie à leur programme…
– Et si on mettait un peu de théâtre au milieu, ambiance mélange des arts, branchitude, tout ça, tout ça ?
– Mais carrément Minou !

Ils proposent alors à Jean Vilar, un metteur en scène qui vient de faire un carton avec Meurtre dans la cathédrale de T.S.Eliot de venir jouer son spectacle pendant l’exposition.
Bizarrement Jeannot n’est pas super motivé, faut dire qu’il n’a pas trop l’habitude de jouer dans des théâtres de 500m2… Ça lui paraît « trop vaste et trop informe », il le sent pas trop techniquement et puis la mairie ne le soutient pas assez et puis de toute façon il n’a plus les droits.
Oui c’est bien ça, Jeannot se dégonfle…
Et puis finalement notre artiste a un coup de sang, quitte à avoir la folie des grandeurs il propose trois nouvelles pièces ! Faut pas lui en promettre au Jeannot…

A la suite des bombardements d’avril 1944, Avignon a perdu de sa superbe… En 1947 la Mairie souhaite y remédier à grands coups de reconstructions mais aussi de culture, du coup elle dit banco ! et prête son théâtre municipal où sera joué La Terrasse de midi, de Maurice Clavel mais aussi son verger d’Urbain V, où Vilar met en scène L’Histoire de Tobie et Sara de Claudel, tandis que la cour du palais des Papes est aménagée pour les représentations prestigieuses de Richard II de Shakespeare.

Jeannot veut toucher un public jeune et nouveau avec un théâtre différent de celui pratiqué à Paris : Faire respirer un art qui s’étiole dans des antichambres, des caves, des salons.

Il faut dire que l’époque est à la décentralisation théâtrale. En dehors de Paris c’est le désert théâtral en France (à part 2 théâtres dans les Vosges ou en Bourgogne).
Du coup à la Libération on créée la direction générale des Arts et Lettres au ministère de l’Éducation nationale avec à sa tête une sous-directrice énergique : Jeanne Laurent.
Elle veut rendre la culture au peuple et le peuple à la culture. Objectif : décentraliser et démocratiser la culture en cherchant à toucher tous les publics, partout en France et dans tous les milieux sociaux.
Jeannette soutient le Festival d’Avignon et la naissance des Centres Dramatiques Nationaux (les C.D.N.) dont la mission est de faire du théâtre un véritable « service public tel que le gaz ou l’electricité».
Oui c’était une autre époque, je vous l’accorde. On affrétait des cars pour amener les ouvriers au théâtre, c’est dire!

Grâce à Jeannette, Jeannot peut créer « Une semaine d’Art en Avignon » du 4 au 10 septembre 1947. 7 représentations, 4 800 spectateurs, mais seulement 2 900 payants, ce qui lui vaudra cette critique :
– Attend t’es gentil Jeannot mais avec 2000 invits en 7 jours moi aussi je la remplis ma salle.
Être artiste incompris vous savez c’est pas facile…

Mais Jeannot ne se décourage pas, et fort de ce succès d’estime il revient l’année suivante pour sa Semaine d’art dramatique. Il met en scène trois pièces : La Tragédie du roi Richard II, La Mort de Danton de Georg Buchner, et Shéhérazade de Jules Supervielle.
Comme il n’a pas le don d’ubiquité, Jeannot réunit ce qui deviendra sa fidèle troupe d’acteurs: Jean Négroni, Alain Cuny, Michel Bouquet, Silvia Montfort, Jeanne Moreau, Daniel Sorano, Maria Casarès, Philippe Noiret, Jean Le Poulain, Georges Wilson…
Oui, niveau comédiens Jeannot a du nez.
En 1951 il appelle aussi son pote Gérard Philipe, déjà célèbre, pour rejoindre la troupe et devenir l’icône d’Avignon, avec ses rôles du Cid et du Prince de Hombourg.

En 1949 les chargés de comm du Festival sentent bien que « La Semaine d’Art Dramatique » c’est pas super vendeur. Du coup ils brainstorment à fond…
– Les gars voilà le brieff : C’est un Festival. A Avignon…
– Ok…
– Attend idée de malade, si on appelait ça le « Festival d’Avignon ». BAM !
– Bon bah c’est bon. On va bouffer ?

En 1951 le Festival d’Avignon est en pleine gloire, il se murmure entre les remparts qu’Avignon est devenue « la plus grande aventure théâtrale d’après-guerre ».
Mais les critiques n’épargnent pas notre pauvre Jeannot taxé de « stalinien », « fasciste »,
« populiste » et même du joli « cosmopolite ».
Mais Jeannot s’en balance pas mal, en septembre 1951 il est nommé Directeur du Théâtre National Populaire de Chaillot à Paris. Parce que bon la décentralisation c’est sympa mais c’est quand même à Paris que ça se passe…
Avignon devient le laboratoire de la politique culturelle qu’il mène dans la capitale.

A partir de 1965 la programmation officielle aussi appelée le « In » s’ouvre à d’autres compagnies, parce que bon le travail de Jeannot ça va on a compris… D’autres metteurs en scène se font connaître (Roger Planchon, Jorge Lavelli) et la programmation s’ouvre : spectacles jeune public, musique, danse (Béjart et son Ballet du XXe siècle), voire cinéma avec les avant-premières des films La Chinoise de Jean-Luc Godard en 1967 et de Baisers Volés de François Truffaut en 1968).
Le festival s’internationalise aussi avec les Rencontres Internationales de jeunes ou la venue du Living Theater qui fout bien le boxon en 1968.
Il dure maintenant tout le mois de juillet et propose des spectacles dans des gymnases, cloîtres, chapelles, jardins, carrières, écoles…
Jean Vilar façonne le Festival jusqu’à sa mort en 1971. Il fait sortir le festival de la Cour d’honneur du Palais des papes en installant une deuxième scène au Cloître des Carmes.
Après lui les directeurs suivants s’attachent à doter le festival In d’infrastructures modernes et veillent à ce que le festival soit largement médiatisé, parfois au prix de production relevant de l’exploit… Le Mahabharata de Peter Brook composé de 3 spectacles durait 9 heures, quand à l’intégrale du Soulier de Satin mis en scène en 1987 par Antoine Vitez, il est resté dans l’histoire. De nombreux spectateurs se rappellent encore la larme à l’œil de leur duvet et de leur thermos de café qui les ont sauvés cette nuit là, puisque le spectacle en plein air durait quatorze heures !!! En 2014, Thomas Joly a proposé un Henri VI de 18h ! Qui dit mieux ?

Le Off
A partir de 1966, un festival « Off », non officiel et indépendant se greffe au In. (Ne parlez jamais de Out vous passeriez pour un plouc).
Des compagnies locales (André Benedetto, Gérard Gélas) souhaitent elles aussi (leur part du gâteau) toucher le public du Festival. D’accord, elles n’ont pas été sélectionnées ni invitées mais elles aussi veulent participer à la grande fête estivale du théâtre, le rendez-vous incontournable des professionnels et du public amateur de theatre. Ces locaux seront vite rejoints par de jeunes compagnies venues des quatre coins de France.
Le festival « off » transforme la ville en une joyeuse kermesse, les affiches recouvrent chaque portion de mur et les spectateurs se mêlent aux parades des compagnies qui passent tracter pour appâter le public.
Théâtre, café-théâtre, spectacles de rue, mime, marionnette, danse, cirque, tout est permis !

Depuis le Festival à contribué à la renommée de nombreuses compagnies françaises et internationales. La programmation s’est enrichie de débats public, d’ouvertures sur tous les arts et reflète les changements de la discipline.
Avignon est aujourd’hui le plus gros festival de théâtre en France et sans doute d’Europe. Il n’y a que le Festival d’Edimbourg qui puisse lui être comparé.

Derniere info : En 2003, le Festival In a été annulé. Cinquante spectacles étaient prévus cette année là mais la grève des intermittents du spectacle, acteurs, techniciens qui visait à protester contre la réforme des régimes d’indemnisation Assedic a conduit à l’annulation pure et simple du In et d’une centaine de spectacles du Off.
Le public défilait alors dans les rues avec les professionnels du spectacle contribuant à faire parler de la cause des intermittents dans les médias.

Et vous, vous y êtes déjà allé? Peut-être y avez vous déjà joué?
Dans notre prochaine minute culture nous vous dirons tout sur Avignon, côté coulisses…